- « Le lave-linge de mamie a 50 ans et fonctionne encore, preuve qu’on savait faire de l’électroménager increvable à l’époque ! »
- « Avez vous vu l’histoire de cette ampoule qui brûle sans discontinuer depuis 120 ans dans une caserne de pompier américaine ? C’est bien la preuve qu’on fait exprès de les rendre fragile, depuis ! »
- « Encore vivante à 120 ans: le secret de sa longévité. »
- « Ils ont réussi dans la vie: le secret de leur success story. »
Vous avez forcément déjà lu ce genre d’affirmations. Mais le fait observé prouve-t-il réellement la généralité qui en est déduite ? Du tout. Pour l’illustrer, continuons avec quelques phrases équivalentes mais qui mettent la puce à l’oreille:
- « Tous les chevaliers qui ont exploré des grottes certifient qu’elles n’abritent pas de dragon. »
- « Tous les joueurs de roulette russe témoignent que ça n’est pas mortel. »
- « Je fume comme un pompier et pourtant je n’ai jamais eu de cancer: c’est bien la preuve qu’on nous ment sur les dangers du tabac ! »
- Variantes avec les vaccins, la ceinture de sécurité, conduire bourré, etc.
- « Peut-on juger une boîte de chocolats aux 3 qui restent ? » ( excellente analogie forgée par Evidence-based bonne humeur ).
Le biais du survivant consiste à retenir des caractéristiques d’un cas à succès (ou « survivant ») sans voir les innombrables cas partageant les même caractéristiques et n’ayant pourtant pas connu ce destin, preuve que ces caractéristiques ne sont en rien la cause du destin du survivant.
(A noter que ça marche aussi pour les cas inenviables: les chocolats restant, « il n’a pas renvoyé le mail à 12 amis, et il est mort« , etc).
Le biais de confirmation tend ensuite à nous faire chercher d’autres cas identiques pour confirmer, ce qui est à l’opposé de l’attitude rationnelle: chaque fois qu’on vous recommande une « recette qui a marché », cherchez plutôt si les contre-exemples ne seraient pas bien plus nombreux.
Au delà du fait de prendre pour judicieux des conseils sans pertinence sur toutes sortes de sujets, ce biais peut avoir des conséquences graves… ou au contraire, être exploité bénéfiquement:
Biais du survivant et « accidents » d’avions
A l’origine, une tragique erreur de raisonnement: lors de la seconde guerre mondiale, on a commencé par renforcer les avions sur la base d’où le mitraillage avait des dégâts, tel que constaté à leur retour. Mais voilà, les mitraillages mortels pour l’avion ou son pilote font qu’il ne revient pas, et c’est donc plutôt ces zones là qu’il faudrait renforcer !
De fait, ces zones sont paradoxalement les plus épargnées sur les avions de retour… puisque que quand elles sont touchées, l’avion ne revient pas. Le statisticien Abraham Wald a donc recommandé, au contraire, de renforcer prioritairement les zones trouvées intactes sur les avions survivant.
Concernant l’ampoule centenaire
Il y a bien sûr l’aspect « biais du survivant », sinon, où sont donc passées toutes les autres ampoules de l’époque ? Qui devraient pulluler si elles étaient statistiquement bien plus solides (de même pour les sœurs « increvables » du lave-linge de mamie).
Mais ici il s’agit en plus (comme souvent) d’un mythe par exagération: l’ampoule ne risque pas d’avoir « brûlé sans discontinuer depuis 1901« , puisque son emplacement a changé plusieurs fois, notamment avec le déménagement de la caserne, et qu’elle a subie quelques coupures de courant. Par ailleurs sa luminosité ne correspond plus qu’à 0,3 % de la valeur d’origine.
Il y a en outre un contre-sens, puisque l’une des choses qui a le plus de chance de tuer une ampoule (comme d’autre dispositifs électriques ou électroniques), c’est l’allumage: « sans discontinuer » protège donc de ces agressions répétées de la vie d’une ampoule.
Enfin une autre question pertinente serait la rentabilité: à 0,3 % de la luminosité d’origine, le rendement de l’ampoule est catastrophique (en plus de son utilité très restreinte): durer dans ces conditions est contre-productif, en toute logique, mieux vaudrait la changer ! 🙂
Bâtiments, chanteurs et auteurs
De la même façon, on a souvent l’impression que « les auteurs et chanteurs des époques précédentes étaient bien meilleurs« ; idem pour les bâtiments. C’est oublier, là aussi, que les médiocres n’ont pas fait l’histoire, tandis qu’on voit mieux ceux qui nous sont contemporains ! ( la surproduction culturelle a aussi bien sûr sa part, mais ça n’est qu’une partie ).
Bref, même si l’obsolescence_programmée existe bel et bien, le biais du survivant tend aussi à nous la faire voir là où elle n’est pas !
Pour en savoir plus:
Plus grave: ce biais cognitif a également entraîné bien des erreurs médicales de diagnostique et de traitement, comme le décrit l’article (en anglais) « Pourquoi se rappeler de ce qui a marché ne marche pas« . Voir traduction automatique.
- Youtube: Le biais du survivant
- Article sur le site A man in the arena ( plus d’exemples ).
- Wikipedia: Biais du survivant .
La page anglaise est bien plus fournie. Voici sa traduction automatique. - Wikipedia: sur la fameuse ampoule centenaire